autres leins : * Martine Hoyas déglace les traces du temps qui passe...
À Niort, Martine Hoyas habite le Pilori de ses « Coïncidences »
Une vie de motifs pour convoquer le hasard
Texte de Claude Blondeau pour le vernissage "Coïncidences" au Pilori le 23 janvier 2020
Les travaux de Martine Hoyas ne s'exposent pas de manière agressive , il faut les apprivoiser, les fréquenter, les habiter. Ce sont les éléments d'un décor qui a vécu, qui porte la trace du temps et de la vie, des prélèvements d'un passé qu'elle nous donne à voir. Donner à voir, donner à réfléchir, mettre devant nos yeux ce qui a fait le cadre de vie d'un monde, d'une population, d'une époque.
Et un lieu avant tout : cette région du nord d'où elle vient, avec ses mines, ses terrils, ses corons.
Ce n'est peut-être pas évident pour certains qui voient ce soir des tipis et une installation.
Justement, je voudrais essayer de mettre des mots sur ce que nous voyons et nous entendons.
Le travail de l'artiste c'est d'aller au delà des apparences, mais avec Martine Hoyas tout part de la réalité la plus concrète, des matériaux qu'elle a pu collecter dans les maisons abandonnées et cela depuis 1984. Ceux d'entre nous qui ont visité le nord ces dernières décennies connaissent les ravages de la crise, du chômage, la brutalité du changement des paramètres industriels, l'arrêt de l'activité minière.
C'est dans ce contexte que Martine Hoyas, étudiante aux Beaux-Arts, a la curiosité d'entrer dans une maison abandonnée, ouverte parce qu'elle n'est plus un domicile, maison sortie du monde vivant, elle est devenue un vestige, une trace oubliée de ce qui a été la vie de plusieurs générations, d'un schéma social et économique disparu. Au moment où l'étudiante, entre dans ces maisons, elle se trouve face à l'histoire de sa région, qui fait que des rues entières de corons sont désertées. Et c'est peu à peu, en récupérant des papiers peints et en faisant un travail d'abord essentiellement plastique, qu'elle va comprendre tous les paramètres sociaux, psychologiques, économiques et politiques impliqués dans l'analyse de cette période de crise et de rupture .
Martine fait cette découverte au moment où l'esprit Supports-Surfaces est très présent aux Beaux-Arts. La radicalité du mouvement associe l'analyse intellectuelle et l'action manuelle. La peinture débarrassée des conventions de l'illusionnisme et sa fameuse fenêtre, rejette aussi le tableau en tant qu'objet de déférence. La toile n'est plus qu'un support, une surface sans cadre, sans châssis sans tension. Viallat apporte ses toiles pour une exposition pliées dans une valise .
Martine, elle, investit le mur en construisant des motifs qui sont punaisés ou posés., travail qu'elle poursuit jusqu'à son diplôme et au delà. Peu à peu, devant des photos, et les indices délabrés des maisons abandonnées, elle entre dans le sens et y perçoit le signe de l'absence. Ainsi le papier peint aux couleurs plus intenses derrière un miroir. Ce travail a la facture de celui d'un peintre, mais dans le réel ; c'est à dire qu'elle ne veut pas peindre une image. Elle reste dans l'espace concret du papier peint avec un rapport très physique à sa surface. C'est le regard de l'artiste qui présente l'objet, puis celui du spectateur qui fait le lien . Martine se demande alors qui elle interroge derrière ce travail et ces matériaux. Et son travail devient un travail mémoriel sur une mémoire collective. Les maisons sinistrées découvertes avant 1990 du côté de Béthune étaient plus ou moins restées ouvertes, avant d'être murées car squattées. Dans un second temps des enquêtes, des études scientifiques seront faites sur ces habitats.
A partir des tous les prélèvements qu'elle a pu faire, Martine a scruté les traces perceptibles à travers les couches successives et construit toute une trajectoire artistique. Il y a eu, dit-elle, des projets représentant le mur et ses écueils. Mais il fallait signifier l'itinérance, le nomadisme après l'habitat sédentaire. L'installation ici dans cette salle se présente comme un ensemble de trois tipis, trois stèles itinérantes et pyramidales, œuvres entreprises en 2014. Il faut se rendre itinérant pour survivre. Aller ailleurs, déménager. Les tipis sont revêtus d'une matière organique, celle même des motifs du papier peint, transférée sur une surface translucide. D'ailleurs les motifs ont variés selon la période de leur collecte : les premiers furent ceux pris dans de maisons populaires, les derniers dans des maisons de maître.
Les trois tipis, quatre avec celui de la seconde salle sont tous habités mais chacun a sa spécificité. Sur le premier on voit défiler les logos d'aujourd'hui : Twitter, Apple, Facebook, qui défilent comme des mobiles dans des chambres d'enfants, avec une petite musique d'une berceuse de Brahms.
Le second réagit au bruit des visiteurs et si l'on prête l'oreille, il diffuse le son d'un feu de bois, de la pluie.
L e troisième présente une lumière qui bouge, un feu avec un mouvement de balancier aléatoire.
Comme je l'annonçais au début cette exposition se visite avec lenteur, il faut d'abord se mettre au diapason de la palpitation de ces lieux fragiles.
Dans la seconde salle on ne peut qu'être saisi de la force de l'installation des poutres qui maintiennent le papier fragile au mur, des pierres recouvertes du noir brillant des morceaux de coke, ce charbon qui fut à l'origine des maisons et de leur ruine. A la fragilité sensible de la première salle s'oppose la brutalité des rapports de matériaux, c'est à dire la brutalité de leur histoire, de l'économie et de « l'Histoire avec sa grande hache » comme disait Pérec. Et pourtant une perruche symbole d'une époque nous fait signe. Alors, pour comprendre tout son projet regardons les titres : le raffinement exceptionnel du triptyque Rhapsodie renvoie aux légendes anciennes dont les éléments épiques étaient cousus, oui cousus, par les chanteurs. Enfin le titre de l'exposition : Coïncidences laisse bien entendre qu'il s'agit de choses qui arrivent en même temps sans converger...
Ce qui nous frappe donc devant ce travail de Martine Hoyas c'est d'abord son authenticité, sa force et sa sensibilité. Et pour faire écho à ses origines, je voudrais rappeler qu'un colloque avait eu lieu en 2006 à Valenciennes à partir de la phrase de Valéry extraite de l'Idée fixe (1931) « Ce qu'il y a de plus profond en l'homme c'est la peau en tant qu'il se connaît ».
Le papier peint, la peau des maisons... Notre regard doit éveiller la perruche du papier peint : que nous dit-elle de ce monde disparu ?
Claude Blondeau 23-01-2020